Argumentaire
Depuis 2012, le séminaire « Aux frontières du sans-abrisme » entend favoriser et développer la mise en réseau des chercheur.e.s – et en particulier des jeunes chercheur.e.s – travaillant sur la thématique du sans-abrisme. L’intitulé du séminaire met en évidence la volonté des participant.e.s d’ouvrir l’espace de réflexion en mettant en lien de nouveaux chercheur.e.s et en convoquant plus largement l’ensemble des disciplines des sciences humaines et sociales : sociologie, anthropologie, histoire, géographie, droit, statistique, philosophie…
Il s’est par ailleurs articulé à deux autres séminaires de recherche :
- Le séminaire « Invisibles et surexposés : l’espace public à l’épreuve des handicaps et des vulnérabilités » organisé par le CSPRP (Centre de sociologie des pratiques et des représentations politiques) devenu au début de l’année 2014 le LCSP (Laboratoire de Changement Social et Politique), Paris Diderot- Paris 7. Ce laboratoire a d’ores et déjà largement ouvert ses portes au séminaire « Aux frontières du sans-abrisme », puisqu’il a accueilli les participant.e.s tout au long des années 2012-2013 et 2013-2014 en ses locaux pour nombre de séances. Ce partenariat s’inscrit historiquement de par les travaux conduits par Claudia Girola (anthropologue, Mcf, LCSP, Université Paris Diderot-Paris 7) et Numa Murard (sociologue, professeur, LCSP, Université Paris Diderot-Paris 7) sur la problématique du sans-abrisme depuis plusieurs années en France et de par les liens entretenus avec le CSPRP depuis le premier séminaire et qui se sont solidifiés plus encore lors de la préparation du colloque-exposition « Espace public et sans domicile fixe. La recherche s’expose ».
- Le séminaire de l’équipe 4, « Les formes de l’urbanité contemporaines », du Centre Max Weber. Là encore, le rattachement est intrinsèquement lié à l’histoire et à la construction même du séminaire « Aux frontières du sans-abrisme ». Mais cette articulation rend surtout lisibles les collaborations scientifiques et le croisement des thématiques de recherche entre les membres de ce laboratoire et les participant.e.s au séminaire.
Deux étapes permettent de rendre compte du chemin parcouru par le collectif de chercheur.e.s engagé.e.s dans le séminaire, la troisième définit le projet à venir. Pour l’année 2014-2015, l’ambition initiale du séminaire s’est augmentée d’une mise en discussion des rapport entretenus entre la recherche et les médias au travers de séances dont le protocole articule à la fois les interventions de nouveaux/nouvelles participant.e.s et invité.e.s et la création d’ateliers de travail en vue d’élaborer un document de valorisation de la production issue du séminaire.
1/ Clarifier et baliser le champ des connaissances sur le sans-abrisme
L’année 2012-2013 a permis de baliser ce domaine de recherche tel qu’il a été délimité depuis le milieu des années 1980. C’est le sens de la démarche qui a présidé à la publication de l’ouvrage : Les sciences sociales et le sans-abrisme. Recension bibliographique de langue française 1987-2012. Au souci de cumulativité dont fait montre cette recension bibliographique, s’adjoint la volonté de rendre accessible la somme des productions scientifiques à un plus large public d’étudiant.e.s, de professionnel.le.s comme de citoyen.ne.s en quête de connaissances. Des terrains d’enquête sont ici mis en perspective avec des questionnements : la construction des catégories (dénomination du problème social, typification des profils, des propriétés sociales et des expériences) ; l’explication processuelle de la perte du logement ; l’évolution, l’organisation et la pratique des dispositifs d’assistance ; les relations qui s’instaurent entre les individus et ces dispositifs ; la dimension publique de problématisation de l’exclusion du logement, que ce soit les dynamiques d’institutionnalisation de l’action des pouvoirs publics en lien avec la société civile ou la gestion locale des espaces publics ; l’expérience de l’exclusion du logement, les pratiques de survie (par l’installation durable dans les espaces publics ou des espaces marginaux comme les squats, les campements ou les bois), leur inscription dans une temporalité, les significations de la « sortie ». Au cours de la même année, le film La recherche s’expose. Espace public et sans domicile fixe a été réalisé comme un outil de médiation issu de l’exposition de recherche éponyme4.
2/ Déborder et explorer les frontières du phénomène
Au cours de l’année 2013-2014, le séminaire a visé quant-à lui à saisir les frottements entre des phénomènes proches qui ébranlent les frontières du champ scientifique du sans-abrisme Par exemple, le rapport entre sans-abrisme et migration a été discuté par les apports des travaux actuels de Tommaso Vitale sur les Roms et la gestion des espaces publics urbains et ceux d’Estelle d’Halluin-Mabillot traitant du droit à l’hébergement et des procédures dédiées aux demandeurs d’asile. Cette articulation essentielle (et pourtant longtemps tenue à distance) du domaine de recherche est également révélée par les travaux quantitatifs dont Françoise Yaouancq, lors d’une séance de séminaire, a finement décrit les résultats issus de l’enquête INSEE SD2012. Une autre voie d’approfondissement développée en 2013-2014 concerne la médicalisation du sans-abrisme, sa spécificité et la diversité des formes qu’elle prend. Lors des séminaires croisés avec les chercheurs du LCSP (Université Paris Diderot-Paris 7) cet aspect a été abordé au travers d’une réflexion sur les rapports entre médicalisation et clinique (Numa Murard, Bertrand Ravon, Édouard Gardella). Ces apports ont également ouvert la question du handicap, notamment lors de la séance Handicap, santé mentale et visibilité avec les interventions de Florence Weber et d’Alain Leplege. Enfin, l’articulation au séminaire de l’équipe 4 du Centre Max Weber de l’Université Jean Monnet à Saint-Étienne a proposé d’ouvrir la réflexion sur les formes de « résistance » des individus et des groupes sociaux dominés dans le cadre de l’ANR que coordonne Jérôme Beauchez. L’état de l’art, Création et ville solidaire, état de l’art des dispositifs créatifs, réalisé conjointement par Élodie Jouve et Claire Lemarchand, a poursuivi la réflexion sur l’accessibilité des travaux de sciences sociales au grand public et la recherche sur les formats de connaissance adéquats à cette ambition. Depuis plusieurs années, les liens construits à partir de ce séminaire ont fait émerger cette question de la publicisation et de la valorisation des travaux de recherche. Ces liens construits entre chercheur.e.s au sein du domaine du sans-abrisme ainsi qu’à ces bords ont fait émerger la question de la valorisation des travaux de recherche. Comment faire en sorte que les travaux des chercheur.e.s puissent être ouverts à la controverse, à la mise en perspective avec d’autres travaux et in fine à la publicisation pour le plus grand nombre enfin d’entrer dans le débat public ? Comment peuvent-ils être visibles, intelligibles, discutés au-delà du cercle des initié.e.s ?
3/ Créer des espaces de publicisation et diffuser les démarches et les résultats de recherche
Le séminaire de l’année 2014-2015 entend saisir de front les questions de formats de connaissance et de publicité. L’expérience de l’exposition de recherche de 2012 a ouvert de nombreuses pistes dans cette direction. Face au phénomène du sans-abrisme et à ses manifestations sociales, les chercheur.e.s sont, plus que dans d’autres domaines, confronté.e.s à la sphère publique et sollicité.e.s par elle : interventions publiques à la demande d’associations (tables-rondes, formations), réponses à des sollicitations de journalistes (presse écrite, radio, télé). Or, les membres du réseau partagent le sentiment que les discours médiatiques peinent à échapper aux clichés et aux formules et à faire valoir, dans la présentation des faits et des situations, d’autres éléments de compréhension issus des travaux des chercheur.e.s : les reportages compassionnels en hiver, le discours des élites associatives, l’expertise hors sol, l’individualisation et la médicalisation du problème prennent le pas sur d’autres aspects historiques, structurels et institutionnels. Comment dès lors faire exister dans la sphère médiatique des discours issus d’enquêtes de terrain de longue durée ? L’enjeu est double : non seulement il s’agit de donner à voir d’autres aspects des réalités vécues et perçues et d’en poser les termes des enjeux sociaux et politiques mais également de faire émerger et circuler des perspectives d’enquêtes par de nouvelles tentatives d’exposition et de visibilisation. Le programme envisage d’appréhender, distinguer et comprendre les différentes formes de transmission des sciences sociales dans les médias et d’élucider un certain nombre d’interrogations concernant ce domaine. Problèmes sociaux et problèmes publics font l’objet de traitements journalistiques et médiatiques spécifiques. Quels sont-ils ? Quels enjeux de savoir et de diffusion ? Comment explorer, à partir du cas du sans-abrisme, le rapport entre la sociologie et le numérique dans le développement de nouveaux formats de transmission et de diffusion des savoirs ? Comment renouveler l’accès à la recherche du grand public ? Comment travailler la porosité entre l’univers de la recherche et celui des médias ?